Les Aidants qu’on oublie !

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Soutenir un proche malade : le chemin de croix de millions de salariés

Accompagnant un parent âgé, une épouse malade ou encore un enfant handicapé, les difficultés des salariés «aidants» sont encore méconnues, voire invisibles dans la plupart des entreprises. Ils seraient pourtant des millions en France, jonglant quotidiennement entre urgences personnelles et activité professionnelle.

Depuis un peu plus de trois ans, le rythme de vie de Marie(1) s’est comme emballé. A côté de son emploi d’assistante de direction, elle jongle chaque jour entre les prises de rendez-vous chez le médecin, les déplacements à l’hôpital, la planification des interventions des infirmières et d’auxiliaires de vie à domicile, ou encore la paperasse administrative pour décrocher des aides financières. Marie n’est pas malade et pourtant c’est elle qui « gère » le quotidien de la maladie de sa mère, atteinte d’Alzheimer.

« Je suis une sorte de chef d’orchestre qui doit s’occuper de tous ses petits tracas, communiquer avec l’ensemble des professionnels qui l’entourent et vérifier que tout va bien pour elle en permanence, même si je ne vis pas avec elle. C’est très chronophage et parfois compliqué au niveau professionnel », affirme-t-elle.

Toujours plus nombreux

Le cas de Marie est pourtant loin d’être une exception. En France, au moins 8,3 millions de personnes –dont une majorité de femmes– assisteraient un proche malade, âgé, ou handicapé pour des soins, actes ou tâches de la vie quotidienne, selon l’enquête Handicap Santé Aidant de la DREES (organisme statistique du ministère des Solidarités et de la Santé), dernière étude d’envergure sur le sujet qui date de… 2008. Parmi ces « aidants », 67% d’entre eux exercent une activité professionnelle et seuls 8% sont inactifs, selon les derniers chiffres du ministère du Travail. « Il existe certainement davantage de gens dans cette situation aujourd’hui du fait de l’allongement de la vie professionnelle, du vieillissement de la population et de l’amélioration continue de la prise en charge des maladies chroniques », avance Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants qui accompagne chaque année environ 13.000 aidants.
Selon la dernière étude de Malakoff Mederic(2), publiée le 20 septembre, près d’un salarié sur cinq (19%) occuperait ce rôle auprès d’un proche. « Ce phénomène en forte augmentation (+10 points en 10 ans), constitue un véritable enjeu pour les entreprises », souligne l’enquête. Car ce rôle d’aidant empiète souvent sur la vie professionnelle. Absentéisme, problème d’organisation, démotivation, baisse de productivité, appels intempestifs, manque de sommeil… Les répercussions potentielles sur le travail varient bien sûr d’une personne à une autre et en fonction des besoins du proche accompagné, mais elles peuvent s’avérer lourdes à porter au quotidien. Une situation telle que les aidants occupent plus souvent des emplois à temps partiel que la moyenne des actifs.

Tabou

Accaparant, le rôle d’aidant n’en demeure pas moins tabou au bureau dans bien des cas. Après des années de maintien à domicile, la mère de Marie a rejoint un EHPAD au début de l’été. Une solution qui a permis à cette « aidante » d’aborder plus sereinement son changement d’emploi intervenant au même moment. « Quand vous commencez un nouveau travail, il faut se donner à fond. Vous ne pouvez pas vous permettre de quitter une réunion pour gérer une urgence ou prendre un quart d’heure à passer un coup de fil à l’infirmière. Ça allait devenir compliqué pour moi avec ces nouvelles fonctions. » D’autant plus que contrairement à son précédent employeur qui était au courant de sa situation, elle n’en a pas informé pour l’heure le nouveau. « Là, je n’ai plus les petits imprévus à gérer, c’est différent. Et puis, c’est ma vie privée, elle ne concerne pas mes collègues », se défend Marie. Comme elle, plus des deux-tiers (70%) des « aidants » n’évoquent pas leur situation avec leur supérieur hiérarchique, d’après une autre enquête Malakoff Médéric datant de l’an dernier(3). Si bien que seuls 31% des dirigeants affirment être capables d’estimer le nombre de collaborateurs aidants dans leur entreprise.
Pourtant, plusieurs petits aménagements sont dans la pratique facilement mis en œuvre pour aider le salarié dans la conciliation de ses contraintes personnelles particulières et de son activité. Outre l’octroi de congés spécifiques prévus par la loi (lire l’encadré ci-dessous), la flexibilité des horaires, le télétravail, la polyvalence des équipes, ou encore l’organisation d’ateliers d’information sur les réseaux d’accompagnement compétents et les aides financières éventuelles (associations, professionnels, plateformes, mutuelles, administration, etc.) sont autant de pistes potentielles, expérimentées pour le moment essentiellement par les grands groupes. « J’ai eu la chance de bénéficier d’une grande souplesse dans l’organisation de mes journées et de pouvoir travailler à distance. Quand je devais accompagner ma mère à l’hôpital, je posais un jour de congé », témoigne Marie qui regrette toutefois que la loi ne prévoit pas l’attribution de congés « parent malade » sur le même modèle que celui des congés « enfant malade ».

« Ne pas s’oublier »

« Pour faire évoluer les choses, il faut oser en parler pour tout poser à plat et passer en revue ce qui est possible d’aménager ou pas, et ce, que l’on soit aidant, manager, collègue. Souvent les personnes concernées s’isolent, s’épuisent à la tâche, ce qui est néfaste pour tout le monde à commencer par elles. La pire des erreurs est de les considérer comme des « héros » ou des « saintes ». Ce sont des gens qui n’ont tout simplement pas le choix d’affronter ce qui leur arrive et qui ont besoin de soutien », insiste Florence Leduc, dont l’association organise à travers toute la France des « cafés des aidants », afin d’informer et d’échanger entre personnes gens qui partagent les mêmes difficultés.
Car, « vous n’imaginez pas à quel point il est difficile de trouver les bonnes informations et les bons interlocuteurs quand on est aidant », ajoute-t-elle. Marie le confirme. Ce qui a été le plus dur pour elle: « ne pas s’oublier ». « Quand ça vous tombe dessus, vous perdez tous vos repères. Vous ne savez pas comment vous y prendre ni vers qui vous tourner. Il faut parvenir à prendre assez de recul et prioriser, sinon on ne tient pas le coup sur la durée. » Il en va dès lors aussi de la responsabilité de l’entourage personnel comme professionnel de rester vigilant et présent dans ces moments critiques, « d’autant plus, qu’il faut s’attendre à ce que le nombre d’aidants progresse encore dans les années à venir », alerte Florence Leduc.

Source : Challenges.fr – Par Marion Perroud

1) Le prénom a été changé.
(2) Baromètre Santé et bien-être des salariés 2018, Malakoff Médéric / Sociovision-IFOP mené auprès de 3.500 salariés du secteur privé.
(3) Enquête Agir pour les salariés-aidants menée par le Groupe Malakoff Médéric et la Fondation Médéric Alzheimer. 

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