Evaluer la contribution informelle des aidants – Témoignage

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Texte proposé par Jean-François Ferrant, aidant familial

La CNSA, les associations de patients et les associations d’aidants peuvent se mettent d’accord sur une méthode officielle de calcul de la contribution informelle des aidants non professionnels

Lors des dernières rencontres scientifiques de la CNSA début novembre 2014, la présidente du Conseil scientifique a cité les chiffres de 7 à 11 milliards d’euros comme montant de la contribution informelle des aidants d’un proche âgé [1] en se référant aux travaux parus en 2008 de deux économistes, Bérangère Davin et Alain Paraponaris. Dans le numéro de décembre2014/Janvier 2015 de la revue Socialter paru fin novembre, un article consacré aux aidants rapportait les mêmes chiffres de contribution des aidants de 7 à 11 milliards dans son article intitulé « Le soutien aux aidants : Prochaine grande cause nationale ? ». Ces 7 à 11 milliards correspondent aux seuls aidants de personnes dépendantes de 60 ans et plus, donc l’équivalent de 4,3 millions d’aidants. En revanche, pas de référence ni lors des rencontres de la CNSA, ni dans l’article de Socialter, au chiffrage avancé en 2013 par le sociologue Serge Guérin qui estime à 164 milliards d’euros cette contribution des 8,3 millions d’aidants [2]. Qu’il puisse exister un tel écart pour exprimer la contribution informelle des aidants me pose problème en tant qu’aidant.

Des chiffres aussi différents que 11 ou 164 milliards ne permettent pas de faire avancer la nécessaire prise de conscience de l’énormité et de la réalité de la contribution des aidants
C’est un problème que le même terme de contribution informelle des aidants puisse être présenté comme égal à 11 milliards ou comme égal à 164 milliards d’euros. Un tel écart est un problème pour moi aidant, et l’explication qui semble la plus plausible est que le nombre d’heures que les aidants consacrent à leur proche n’est pas vu du tout de la même manière selon ces deux modes de calcul. Ce serait une bonne chose que le chiffre de la contribution informelle des aidants soit un chiffre admis par tous, politiques, associations de patients, et associations d’aidants. Or une telle évaluation ne repose que sur 3 chiffres, tous trois parfaitement mesurables :

  • le nombre d’aidants,
  • le nombre d’heures en moyenne consacrées par l’aidant au proche dont il prend soin,
  • la valorisation monétaire de l’heure d’aidant.

Si le consensus s’est fait progressivement sur les 8,3 millions d’aidants (mais sans compter encore les aidants d’un proche qui vit en établissement), si la valorisation monétaire peut faire l’objet d’un consensus compris entre 10 et 20 euros par heure, il « ne reste plus» donc qu’à trouver le consensus sur le nombre d’heures en moyenne consacrées par l’aidant au proche dont il prend soin.

C’est aux aidants de définir eux-mêmes le temps qu’ils passent avec leur proche
Le nombre d’heures consacrées au proche doit être vu du côté de l’aidant. La « supervision » du proche Alzheimer ou victime d’un AVC, ou atteint d’une lésion cérébrale ou d’un traumatisme crânien, peut être du temps complet, parfois sans répit la nuit. Les temps de transports, les temps administratifs, les rendez-vous médicaux, sont autant d’heures qui s’accumulent pour l’aidant et qui sont bien un « temps consacré par l’aidant à son proche ». Une toilette ne se fait pas toujours en un quart d’heure ou une demi-heure, mais peut prendre 1 heure ou plus. Dans les cas d’incontinence, le changement des couches, le nettoyage du lit, le changement des draps, la lessive peut représenter l’équivalent de 2 heures chaque jour. Je repense à cette aidante qui disait passer en moyenne 20 minutes pour obtenir que son mari Alzheimer accepte de s’installer dans la voiture pour aller à l’accueil de jour ou en revenir. Je repense à cette autre aidante qui dit qu’elle consacre près de 12 heures par jour à sa compagne pour la nourrir.

L’aidant qui a un temps de transport de 30 minutes pour se rendre au domicile de son proche a bien 1 heure au total à prendre en compte les jours où il y va. Autant de « faits » concrets où l’aidant sait le nombre d’heures qu’il consacre, mais où ce nombre d’heures vu par les aidants ne semble pas avoir été pris en compte dans les évaluations d’économistes s’appuyant sur des « normes » administratives de temps de professionnels. La liste des tâches et actes de l’aidant au quotidien est large : il y a d’une part les tâches et actes concernant les actes essentiels de la vie du proche comme le lever, l’habiller, le nourrir, le laver, l’accompagner pour aller aux toilettes ; et il y a d’autre part les tâches et actes concernant des actes non essentiels comme l’entretien de la maison, la lessive, la préparation des repas, les courses, l’accompagnement aux rendez-vous médicaux et examens, les aspects juridiques et financiers, l’administratif, etc. Et il y a une série de tâches réalisées par l’aidant comme le soutien psychologique du proche, la coordination des professionnels qui viennent au domicile, l’information des autres membres de la famille, la recherche d’informations sur Internet. Une aidante disait passer une demi-heure à une heure chaque jour pour trouver du réconfort et du soutien d’autres aidants sur un forum d’échanges entre aidants. Pourquoi ne pas réaliser une enquête sur le nombre d’heures que les aidants disent consacrer à leur proche, à partir d’un questionnaire pré-approuvé par des aidants ?

La CNSA, les associations de patients et les associations représentatives des aidants peuvent se mettent d’accord sur une méthode de calcul de la contribution des aidants qui servent à tous
La CNSA a les moyens financiers pour réaliser avec les associations d’aidants et de patients représentatives cette enquête détaillée sur les heures consacrées par les aidants à leur proche. Les données recueillies par France Alzheimer lors de son évaluation de la contribution informelle des aidants établie en 2010, montrait une moyenne de 6 heures et demi par aidant et chiffrait à 36 000 euros en moyenne sur la base d’une heure à 16 euros la contribution annuelle de l’aidant d’un proche Alzheimer [3]. Les données recueillies par l’Association des Paralysés de France à partir de l’enquête réalisée en 2013 [4] donnent aussi à réfléchir quand aux questions importantes à poser puisque pas moins de 16 types bien distincts de temps passé ont été proposés dans cette enquête, l’aidant pouvant répondre en nombre d’heures au quotidien, ou à la semaine, ou au mois.

Ces deux associations de patients peuvent apporter leur éclairage pratique sur les questions importantes aux yeux des aidants pour que leur contribution soit bien prise en compte dans leur totalité, et non pas de manière trop partielle par rapport à leur quotidien. A partir de quoi il sera possible de finaliser la méthode d’évaluation de la contribution informelle des aidants et bénéficier d’un chiffre unique représentatif des 8,3 millions d’aidants qui s’occupent d’un proche à domicile. Un chiffre nécessaire pour les journalistes qui s’adressent autant aux aidants qu’aux non-aidants. Un chiffre nécessaire pour que chacun réalise l’ampleur de ce qu’apportent les aidants et jauger les politiques proposées en regard pour aider les aidants. Pour reprendre les mots mêmes de la présidente du Conseil scientifique de la CNSA lors de son intervention aux rencontres de la CNSA début novembre, « l’injonction d’aider les aidants risque de rester sans suite » faute de connaissance statistique des aidants.

Pour mémoire, la contribution informelle des aidants est évaluée à 119 milliards de £ (équivalent de 150 milliards d’euros) pour les 6,5 millions d’aidants au Royaume-Uni [5], et autour de 500 milliards de $ (équivalent de 400 milliards d’euros) pour les 45 millions d’aidants aux Etats-Unis [6]. Deux références officielles, avec une méthode admise par tous depuis de nombreuses années, et reproduite par la presse sans que des aidants s’émeuvent puisque la réalité de l’aide qu’ils apportent au quotidien leur parait correctement prise en compte.

Jean-François Ferrant

[1] http://www.rencontres-scientifiques.cnsa.fr/archive/2014/pdf/P2_MarieEveJOEL.pdf
[2] http://www.agevillagepro.com/actualite-9532-1-cinq-personnalites-lancent-un-appel-a-l-aide-en-faveur-des-aidants-familiaux.html
[3] http://www.francealzheimer.org/sites/default/files/Synth%C3%A8se%20Etude%20Reste%20%C3%A0%20Charge%202011%20janv.pdf
[4] http://presse.blogs.apf.asso.fr/media/01/00/3583393420.pdf
[5] http://www.carersuk.org/
[6] http://www.rand.org/news/press/2014/10/27.html

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