Lettre s’adressant à la productrice de l’émission « Toute une histoire » sur France 2
Suite à cet appel à témoins, nous avons collectivement écrit une lettre à la production de l’émission, afin de lui faire part des réactions qu’il a suscitées. je me permets de vous la communiquer. Si en tant qu’aidant ou sensibilisé à la cause des aidants vous voulez vous joindre à nous et co-signer cette lettre, nous serions heureux de vous compter dans nos rangs.
Madame,
C’est dans le cadre de l’appel à témoins sur les conjoints de malades souffrant de la maladie d’Alzheimer que je vous réponds.
Je fais partie d’un groupe d’aidants et nous échangeons sur un forum sur les différentes thématiques concernant les aidants dits naturels. Or votre présentation nous a émus et a suscité bon nombre de réactions dans notre communauté.
Tout d’abord nous tenons à vous remercier de nous donner aussi régulièrement la parole. Nous sommes en France 8.5 millions d’aidants et nous souffrons de l’invisibilité dans laquelle nous maintiennent les pouvoirs publics et les médias. Nous reconnaître collectivement n’est pas seulement un acte citoyen ou solidaire mais c’est aider ceux qui récemment concernés par la problématique, peinent à s’identifier comme tels, et restent isolés et peu informés. Des dispositifs existent, alors que les aides et les solutions restent sous-utilisées par manque de connaissance du public concerné.
Nous suivons régulièrement vos émissions et savons qu’elles rencontrent une large audience. Ces derniers mois nous avons noté que vous aviez invité sur votre plateau des familles qui se sont occupées d’un proche malade. Or à aucun moment, n’a été prononcé le terme d’AIDANT. C’est sous cette dénomination commune que nous nous reconnaissons. Pas seulement fils, fille ou conjoint de.. mais AIDANTS de… Sans cette dénomination commune point de reconnaissance, c’est un fait établi. Or trop souvent, les aidants tardent à s’identifier et s’isolent ou courent à l’épuisement. S’ensuit alors une cascade de réactions en chaine, conduisant le plus souvent à l’entrée en institution du proche aidé, alors qu’avec un soutien adapté et une prise en charge globale, cette institutionnalisation aurait pu être évitée ou au moins différée.
Ce premier point éclairci, une autre réaction rencontrée a été la suivante :
Trop souvent le thème « je me suis occupé de mon proche » est abordé de façon négative, ne mettant en exergue que les inconvénients : « j’ai tout lâché pour mon proche » ou « j’ai mis ma santé en danger… » ou pire encore « je me suis sacrifié… », or nous sommes convaincus que mieux repérés, entourés, informés et valorisés les aidants peuvent aller mieux, plus loin et plus longtemps. Envisager l’aidance sous un aspect positif ne peut que profiter aux aidants comme aux aidés et changer le regard que la société porte sur nous. Le parcours d’un aidant, bien que semé d’embûches et de déconvenues, souvent dénommé « parcours du combattant » contient parfois des parenthèses magiques qu’il est bon aussi de souligner. Personnellement en 3 ans d’aidance, j’ai fait la connaissance de personnes extraordinaires, j’ai grandi, mûri, j’ai plus appris sur moi-même ces derniers mois qu’au cours des 20 dernières années. L’expérience d’aidant peut être extraordinairement enrichissante, tant humainement qu’affectivement, tant sur les savoir-faire que sur les savoir-être et cela aussi il serait bon d’en parler. Nous échangeons beaucoup sur les réseaux sociaux, et croyez-le ou non, nous ne passons pas notre temps à nous plaindre ou à nous lamenter et heureusement d’ailleurs. Nous nous soutenons, échangeons nos trucs et astuces pour gérer le quotidien, nos savoirs mis en commun nous enrichissent mutuellement, les aidants sont pleins de ressources qu’ils ne demandent qu’à partager, pour peu qu’on leur donne la parole. Ils acquièrent de fait un niveau d’expertise indéniablement reconnu par leurs pairs.
Le troisième point soulevé par mes consœurs et confrères aidants est à propos de la pathologie abordée. Très souvent on met en avant les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. Certes, c’est une pathologie répandue et de loin la première cause d’entrée en établissement, mais elle n’est pas la seule pathologie invalidante. Parmi mes amis aidants, nous avons aussi des proches de malades atteints d’autres formes de démences, de victimes d’A.V.C. (avant 60 ans), de malades de cancer, de suites d’accidents et la liste n’est pas exhaustive. Même si les prises en charge diffèrent, nos quotidiens sont assez similaires, nos problématiques aussi. Et en cela nous nous reconnaissons et échangeons avec bienveillance face aux aléas du quotidien.
J’attire aussi votre attention sur les handicaps invisibles, comme ceux suite à un trauma crânien par exemple. Une de mes amies est aidante de son frère cadet, traumatisé crânien lourd suite à un accident sur la voie publique. Il présente actuellement un réel handicap mental et comportemental mais comme il a conservé l’apparence physique d’un homme en pleine santé, le regard de la société à son égard et envers sa sœur est rarement bienveillant. L’on aborde trop peu ce genre de handicap invisible. Depuis 2008, les assureurs le reconnaissent enfin. N’étant pas perçues comme handicapées, ces personnes n’occupent pas le devant de la scène ce qui freine leur insertion dans la société, alors que ce sont la plupart du temps des malades jeunes, avec un fort potentiel de récupération, pour peu qu’ils soient correctement pris en charge, stimulés et entourés de personnes bienveillantes.
Un dernier point important, le 6 octobre 2015 se tiendra la prochaine Journée Nationale des Aidants. Ce sera la 6ème édition. Cette journée peine à trouver sa place auprès du grand public, bien qu’elle soit de plus en plus relayée chaque année par les médias et par des actions départementales initiées par des aidants et des associations sensibles à leur cause. Dans ce cadre, pourquoi ne pas organiser une émission « spéciale aidants » ce jour-là ? Une émission regroupant des aidants de tous âges et de tous horizons. Nous sommes 8.5 millions d’aidants en France, nous appartenons à toutes les couches de la société, nos histoires quoique différentes ont un point commun celui de nous occuper au quotidien d’un proche âgé, malade ou dépendant.
Le 6 octobre est notre journée aidez-nous à le faire savoir et à nous rendre plus visibles.
Encore une fois, nous tenons à vous remercier, une émission comme la vôtre permettrait à la cause des aidants d’avancer et aiderait des centaines d’aidants de l’ombre à se reconnaitre, à mieux se positionner, à gagner en énergie, se sentant enfin reconnus.
Nous sommes à ce jour 25 aidants ou sensibilisés à avoir co-signé cette lettre et nous serions heureux de voir la liste de noms s’allonger !
Une Aidante