C’est le printemps. Avec ses petites fleurs, son soleil timide, ses promesses de beau temps et ses étudiants en fin de parcours. Des étudiants qui écument les forums et les groupes d’aidants sur Facebook, posent leur petite annonce, laissent le lien vers un questionnaire ou leur adresse mail et repartent. Je n’ai jamais connu une catégorie de personnes autant sondée, questionnée, étudiée, décortiquée et pourtant à ce point incomprise. Je suis aidante. Pas rat de laboratoire.
Cela fait 7 ans que j’écume internet, ses forums, ses réseaux sociaux et leurs groupes. En 7 ans, j’en ai vu passer des étudiants. J’en ai lu des sujets, des questionnaires et des demandes d’entretiens.
Mesdames et messieurs les étudiants, s’il y a bien une caractéristique commune qui vous unit c’est votre manque cruel d’originalité. Tant par la cible de vos mémoires que par le sujet. Sans parler de votre façon de venir vous présenter, poser votre message et disparaitre. Sans jamais revenir. Ni partager avec nous le fruit de vos recherches. Nous sommes vos sujets d’études. Des sujets que vous espérez compliants, consentants, dociles, et surtout qui ne viennent jamais vous réclamer des comptes. A-t-on déjà vu une souris venir lire par-dessus l’épaule du doctorant les conclusions de son mémoire ? Et surtout, l’a-t-on déjà entendu émettre un avis sur la question ? Parce que malgré mes demandes, jamais un étudiant n’est revenu nous donner des nouvelles, sans même parler de nous faire lire ses conclusions.
Compliants, consentants, dociles mais surtout corvéables à merci.
La plupart d’entre nous sont bénévoles. C’est justement la base de notre investissement et notre caractéristique sociologique : nous sommes une catégorie de personnes sur laquelle la société toute entière se repose, grâce à laquelle le système de santé tient encore debout, qui assure la cohésion de la cellule familiale et le lien trans-générationnel, non reconnue (ou si peu), non rétribuée, à peine dédommagée, et il faudrait en plus que nous donnions de notre temps afin de répondre à vos questions, sans même savoir à quoi ce travail mènera, quelles seront vos conclusions à notre sujet, quelles seraient vos suggestions nous concernant, ce que vous, à votre niveau d’élèves ou de futurs professionnels vous avez essayé de mettre en place, ce que vous auriez aimé faire de plus, de mieux, de différent ? Nous, aidants, donnons de notre temps à nos proches, donnons de notre énergie à la société, nous faisons de nombreux cadeaux à l’économie nationale, et il faut encore que bien contents, nous donnions des réponses à vos questionnaires, sans aucune contrepartie ? Sans partage ni échange ? Vous posez les questions, nous y répondons, bien heureux d’être le centre de tant d’intérêt ? Est-ce cela, la base de la reconnaissance que nous sommes en droit d’attendre ?
Quelle sorte de professionnels comptez-vous devenir ? Ceux qui savent face à ceux qui reçoivent le savoir ? J’ai eu cet après-midi un échange avec une étudiante venue déposer son annonce assortie de son adresse mail dans un groupe d’aidants. Comme je lui faisais part de ma lassitude que le sujet traite encore une fois des aidants d’un proche souffrant de la maladie d’Alzheimer, et que je craignais que cette redondance dans les sujets exploités ne contribue à invisibiliser les autres catégories d’aidants, l’étudiante en question n’a pas eu l’air d’apprécier mon intervention et après échange de commentaires a purement et simplement retiré sa demande. C’est bien dommage ce type de réaction. Quelle professionnelle de l’accompagnement ou du soin (elle n’avait pas précisé son cursus dans son message, ni le diplôme visé) deviendra cette jeune femme, si déjà, elle n’est pas capable d’être à l’écoute de la moindre observation de la part du public qu’elle compte étudier et avec lequel elle sera amenée à travailler plus tard ? Elle possède un savoir théorique, qui n’est rien sans le savoir pratique que nous pouvions lui apporter. Nous sommes experts de nos situations, la plupart d’entre nous, à force de les expliquer sommes capables de connaitre les failles de notre organisation, nous sommes capables de définir nous-mêmes nos besoins, que ce soit en terme d’aide, de répit ou de formation. Croyez-moi, la plupart d’entre nous ont eu le temps de faire le tour de la question. Cet échange unilatéral de connaissances, cette absence de désir d’en apprendre plus de l’autre, cette absence d’écoute de ses suggestions ne cesse de m’interroger sur nos relations futures.
Vous qui aujourd’hui passez vos examens et présentez vos mémoires de fin d’études, vous êtes les travailleurs sociaux, les accompagnants de demain. Et nous, aidants d’aujourd’hui, nous serons encore là demain, fidèles au poste. Avec ou sans vous, avec ou sans votre aide, avec ou sans votre écoute, avec ou sans votre reconnaissance, nous serons encore là, auprès de nos aidés. Votre rôle sera de nous faciliter la tâche, de nous informer et nous guider dans le dédale administratif pour certains. Pour d’autres, votre aide sera différente, mais quel que soit le poste occupé, quel que soit votre rôle dans nos parcours, n’oubliez pas de rester à l’écoute. Dans ce que nous disons, il n’y a pas que des questions ou des plaintes. Il y a aussi des idées, des suggestions, des ressources dont il serait dommage de faire l’économie. Nous, aidants, sommes habitués au partage. Nous partageons déjà notre temps, notre énergie, nous pouvons aussi partager nos idées. Tout le monde y gagnera.
Kat aidante – Les Chroniques d’Hortensie, le blog d’une aidante experte