Technologies pour les Aidants de personnes âgées

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Gérontechnologies, des ailes et des freins

L’offre, bien que foisonnante et prometteuse, progresse plus rapidement que la demande. Question de génération, mais pas que.

Gérontechnologies, des ailes et des freins

 

L’allongement de la durée de vie a bouleversé le vieillissement. Il pose un défi majeur à notre société : la prise en charge d’un nombre croissant de seniors confrontés à une perte d’autonomie. Certes, l’âge de la dépendance recule à mesure que la vie s’allonge, mais la France comptera, selon l’Insee, 1,2 million personnes dépendantes en 2040, contre 800 000 actuellement. Le nombre de seniors de plus de 75 ans va doubler d’ici 2050, pour atteindre 12 millions de Français. Il faudra donc mettre au point des technologies qui permettent à une personne de vieillir chez elle en toute sécurité : qu’existe-t-il aujourd’hui sur le marché ? Les gérontechnologies représentent-elles un réel espoir ?

Si l’espérance de vie est en progression, l’espérance de vie sans incapacité recule seulement légèrement. Et gérer la perte d’autonomie d’un proche est une angoisse pour les baby-boomers : selon le sondage Opinionway pour l’Observatoire de l’intérêt général publié en 2012, 66 % des Français ont été confrontés à la dépendance d’un proche, et seulement 15 % d’entre eux pensent pouvoir y faire face facilement, selon l’Institut français des seniors. L’éclatement géographique des familles et la moins grande disponibilité des femmes (ce sont elles qui s’occupent des parents âgés à 75 %) sont des évolutions qui remettent en cause la prise en charge traditionnelle de la dépendance. Les maisons de retraite restent une solution pour les personnes les plus dépendantes, mais les Français plébiscitent à 93 % le maintien à domicile pour eux-mêmes et leurs parents. Habitat partagé, colocation intergénérationnelle… Parmi les solutions pour pouvoir vieillir chez soi dans de bonnes conditions, la domotique, c’est-à-dire l’automatisation et l’électronisation des fonctions d’un logement, offre également nombre de réponses.

À l’origine, la domotique désigne des appareils automatisés créés pour nous faciliter la vie. Aujourd’hui, elle évolue en “objets connectés” qui peuvent être contrôlés par un smartphone ou une tablette. La France accueille favorablement ces technologies : en 2015, 30 % des Français possédaient un objet connecté dans leur maison, qu’il s’agisse d’une alarme, d’une télévision, d’un appareil électroménager… Et les analystes prédisent une véritable explosion. D’après une étude menée par Gartner et l’Idate, en 2020, le nombre d’objets connectés en circulation à travers le monde se situera entre 50 et 80 milliards, sois 6 objets connectés par personne. Mais si cette tendance s’affirme pour des usages courants (smartphone, télévision), qu’en est-il de ses déclinaisons pour les seniors ? Les gérontechnologies, elles, commencent à peine à émerger au niveau commercial. Selon Frédéric Serrière, consultant spécialisé dans la silver économie, “le secteur des gérontechnologies, hors domotique traditionnelle et téléassistance, est estimé entre 25 et 40 millions d’euros par an. Et sachant que le nombre des 78 ans et plus va rester stable sur les 6 prochaines années, le marché ne devrait progresser que de 4 à 5 % d’ici à 2020”.

La téléassistance leader

La gérontechnologie la plus connue est sans doute la téléassistance : il s’agit d’un boîtier qui permet à un senior, s’il a une urgence médicale, de pouvoir joindre un service d’opérateurs disponibles tous les jours, à chaque heure du jour et de la nuit. Elle représente 110 à 130 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2015, selon Frédéric Serrière Consulting, pour près de 700 000 à 760 000 systèmes de téléassistance en service. Cette technologie, l’une des premières à être apparue sur le marché des gérontechnologie, est en train d’évoluer pour s’adapter aux nouveaux défis posés par la dépendance : le bouleversement de la vie des aidants familiaux quand la perte d’autonomie d’un proche s’installe. Quand la personne âgée est prise en charge par des services à la personne, ce sont souvent les aidants qui supervisent leur action, et qui jouent le rôle de coordinateur dans la prise en charge d’un parent.

Ainsi, selon une enquête Handicap-Santé-Aidants, 48 % des aidants familiaux ont une maladie chronique, 29 % se disent stressés et anxieux, et 25 % fatigués physiquement et moralement. Et c’est généralement quand ils sont trop épuisés par la prise en charge de leur parent que les aidés quittent leur foyer pour s’installer dans une institution médicalisée. Pour remédier à cette situation, la société Fillassistance teste actuellement une nouvelle forme de téléassistance : “le projet Fillatentive répond à un constat simple, explique Marie Bazetout, sa directrice. On ne peut plus traiter le bien-être des seniors sans traiter aussi celui les aidants : c’est sur eux que repose en partie le poids de la prise en charge. Il est nécessaire de les soulager. L’idée est de leur enlever la part matérielle de la prise en charge en mettant en place un système d’alerte moderne et convivial”. Concrètement, Fillatentive est un service de téléassistance traditionnel doté d’une dimension de mise en relation avec les aidants, inspiré du fil d’actualité de réseaux sociaux comme Facebook. Le boîtier est connecté à une plateforme digitale qui permet à des opérateurs de Fillassistance d’administrer la communauté des aidants par mail, SMS ou application smartphone. Le parent y trouve des informations sous forme d’alertes envoyées par les chargés d’assistance. Les prestataires à domicile signalent leur passage, le service qu’ils ont rendu, ajoutent des commentaires sur l’état du patient… Une manière d’être informé que le réseau médico-social qui entoure un proche joue son rôle, même si on est éloigné géographiquement. “C’est la création d’un réseau social pour chaque patient, à destination des aidants” résume Marie Bazetoux.

Les gérontechnologies mal connues

Si la téléassistance, acteur historique des gérontechnologies, évolue, une multiplicité d’objets connectés ont fait leur apparition sur le marché ces dernières années. Piluliers électroniques, bouteilles connectées qui anticipent la déshydratation, cannes GPS, chemin lumineux… les inventions fleurissent pour ménager la santé de nos aînés. Ces innovations, on peut les retrouver dans l’AdhapLab’, guide des gérontechnologies crée par AdhapServices, une entreprise de services à la personne. Damien Cacaret, son président, explique la démarche de ce guide : “le consommateur est aujourd’hui complètement perdu dans les gérontechnologies. En tant que professionnel, il nous semblait légitime de proposer une expertise sur le marché. Il fallait faire le tri, et proposer un état des lieux des objets connectés dédiés aux seniors”. Car comme tout marché émergent, celui des gérontechnologies bouillonne, quitte à parfois tomber dans le gadget. Pour Frédéric Serrière, conseiller en stratégie sur la silver économie et sur le marché des seniors, les gérontechnologies sont apparues 10 ans trop tôt : “il existe un décalage générationnel, entre les seniors d’aujourd’hui et les technologies qu’on leur propose. Ça ne peut pas marcher. Les technologies qui apparaissent sont basées sur les besoins de personnes qui ont plus de 78 ans : la plupart ne possèdent même pas de connexion Internet” [cf. encadré]. Damien Carcaret identifie pour sa part un obstacle supplémentaire : beaucoup d’entreprises commercialisent aujourd’hui les gérontechnologies, mais elles n’ont pas de formation médicale et ne sont pas au contact des patients.

De son côté, le réseau médico-social ne connaît pas ou peu les objets connectés dédiés aux personnes âgées… En clair, il n’existe pas assez de point de contact entre le monde médical et l’offre du marché pour promouvoir une évolution 2.0 de la prise en charge de la dépendance. “On constate que l’offre explose mais que la demande des patients ne suit pas. Dans l’émergence de cette silver économie, le produit est mis en avant, mais le service ne l’est pas. Or c’est une erreur monumentale. Les gérontechnologies ne décolleront que si on les présente comme un service à la personne. C’est pour cette raison que l’on a créé l’AdhapLab’ et que nous formons tous nos prestataires à ces évolutions.”

Piluliers connectés et cuillères anti-tremblements…

La démarche de Laure Brunschvicg illustre bien cette volonté de rapprcocher la technologie des utilisateurs potentiels. Directrice du centre Adhap Services de Saint-Nazaire, elle organise le 1er avril prochain un événement où seront exposés des gérontechnologies à destination des patients, de leur famille et des professionnels de santé. À l’origine de sa démarche, une pensée très pragmatique : “c’est une responsabilité sociétale, je ne veux pas que mes salariés deviennent mes clients de demain”. L’objectif est double : porter les gérontechnologies à la connaissance de ses patients, et protéger ses salariés du risque maladies professionnelles. “C’est une vraie problématique dans les métiers liés au vieillissement. Ce sont des métiers très physiques et durs psychologiquement. Les gérontechnologies vont aider tous les professionnels du maintien à domicile dans tous les actes risqués de leur travail.”

Pour les patients, des objets comme le pilulier connecté qui rappelle l’heure de la prise des médicaments, la cuillère anti-tremblements pour éviter de renverser sa nourriture ou encore des smartphones conçus pour les seniors sont autant d’aides qui, additionnées, peuvent permettent le maintien à domicile. Selon Laure Brunschvicg, la différence d’espérance de vie entre un senior en bonne santé qui vieillit chez lui ou en maison de retraite est de 9 années : “j’en ai vu beaucoup qui mourraient peu de temps après avoir été placés en institution contre leur gré. Pour beaucoup, la maison de retraite, c’est le début de la fin. Le maintien à domicile avec un service à la personne coûte cher. Il faut trouver des solutions, et les gérontechnologies en sont une”.

La maison intelligente d’Euratechnolgies

Un des projets les plus aboutis en la matière est sans doute “la Maison intelligente” créée par un groupe de chercheurs de trois écoles d’ingénieurs lilloises (groupe HEI, ISA, ISEN), située à Euratechnologies, le pôle de recherche et de compétitivité de la région Hauts-de-France. Cédric Dinont, responsable du département Intelligence Ambiante au sein de ce pôle, dirige l’équipe qui a construit cette maison, pensée pour le maintien à domicile des personnes âgées et handicapées. Dans ce laboratoire de 150 m2, tous les objets sont équipés de capteurs et sont connectés entre eux pour cibler les habitudes de l’occupant. Cette technologie s’appelle l’actimétrie : le sommeil, les habitudes alimentaires, la consommation d’eau et d’électricité, le rythme de la marche… tout est scruté et analysé afin de créer un environnement ultra-adapté et connecté au réseau médico-social du patient. En effet, pour Cédric Dinont, l’un des freins principaux des gérontechnologies, c’est qu’elles sont intégrées “verticalement dans l’environnement du patient”. Il privilégie, lui, une inter-connectivité entre les objets “qui doivent discuter et collaborer entre eux”. Exemple ? la balance reliée au frigidaire.

Ainsi, en fonction d’une perte ou d’une prise de poids détectée par le pèse-personne, le frigo de la maison intelligente indique les aliments les plus adaptés à une alimentation saine, et même des recettes ! Contrairement à un logement qui intégrerait une multitude de petits objets, la maison intelligente est pensée comme un grand ensemble ergonomique, qui doit esthétiquement ressembler à un environnement de personne autonome. “Il nous paraît essentiel que l’environnement ne soit pas stigmatisant. Il faut à tout prix éviter de transformer le logement en chambre d’hôpital bis. Les designers travaillent pour intégrer des objets intelligents à partir des meubles du patient. Si on met un lit médicalisé au milieu du salon, l’habitant est étiqueté comme dépendant et malade.”Source: lenouveleconomiste.fr

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