« L’aidant privilégie la santé de la personne qu’il accompagne au détriment de la sienne »

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Au quotidien, accompagner un proche malade ou handicapé peut comporter des risques en matière de santé. Quels sont-ils ? Des solutions existent-elles ? Eléments de réponse avec Pascal Jannot, président de La Maison des Aidants.

 

Vous n’êtes pas au courant ?

Chaque jour, neuf millions de personnes en France accompagnent un proche en perte d’autonomie, une personne âgée ou handicapée pour l’aider à faire sa toilette, se déplacer ou encore s’alimenter. Ce sont les aidants familiaux. Ils aident leur proche à raison de cinq heures, en moyenne, par jour et cela gratuitement (une contribution sociale qui pourrait représenter 164 milliards d’euros s’ils devaient être remplacés).

Comment devient-on aidant familial ?

Sans forcément le vouloir, ou du moins le savoir. Si certains décident d’eux-mêmes d’assumer ce rôle gratifiant, d’autres à l’inverse se retrouvent pris dans cet engrenage de manière insidieuse. Confrontés à un proche qui perd peu à peu son autonomie, ils finissent par s’en occuper tous les jours un peu plus sans se rendre compte de la charge qui pèse sur eux. Leur vie familiale, professionnelle ou même sociale en est alors impactée. Et, lorsqu’ils comprennent la situation dans laquelle ils se sont enfermés, ils sont alors en grande souffrance.

L’impact sur leur santé est considéré comme un nouveau problème de santé publique car les conséquences de leur rôle génèrent le plus souvent un stress croissant, des troubles du sommeil, un épuisement, un schéma dépressif important qui conduisent vers une dégradation de leur santé.

L’aidant privilégie la santé de la personne qu’il accompagne au détriment de la sienne et néglige ses besoins de santé primaire. Il n’est pas rare que certains décèdent avant la personne qu’il accompagne.

Pourquoi ne parle-t-on pas plus d’eux ?

Une des caractéristiques des aidants est leur invisibilité sociale. Pourtant, ils forment un groupe émergeant majeur mais relativement discret. Ils assument leur rôle qui souvent les isolent socialement. Progressivement, ils sombrent dans une forme d’autisme qui les empêche la plupart du temps de s’ouvrir vers l’extérieur et de bénéficier des solutions d’aides ou d’accompagnement existantes. Le manque de temps est généralement évoqué.
Savez-vous que près de la moitié d’entre eux doivent souvent concilier en plus de leur rôle d’aidant une activité professionnelle ? Nous les appelons les « salariés-aidants ».

Et comment font-ils ?

Concilier une double vie professionnelle et un rôle d’aidant est extrêmement difficile. L’impact sur leur santé est redoutable et l’organisation quotidienne compliquée. En France, 20 % des salariés sont concernés par l’accompagnement d’un proche.
Si les conséquences pour l’aidant sont particulièrement difficiles (stress, sommeil, santé…), pour l’entreprise et la société en générale elles le sont tout autant car l’absentéisme des aidants, dû à leur vie compliquée, représente jusqu’à 16 jours d’absence par année pour un quart d’entre eux.

Que leur est-il proposé ?

La plupart des cadres dirigeants ne connaissent pas le phénomène et n’ont, pour la grande majorité, aucune idée de l’impact sanitaire et social sur leur personnel ni les conséquences économiques sur leur entreprise (1% du PIB est considéré comme cohérent).

Nous avons mis en place des solutions de « Care Management » en direction des cadres dirigeants et des salariés aidants afin de sensibiliser l’entreprise. Objectif ? Que cette dernière prenne en compte les conséquences d’une population qui vieillit et qu’elle accompagne mieux ses salariés confrontés à la dépendance d’un proche.

Mais, ça pourrait être moi ?

Oui, nous sommes tous concernés. Un jour ou l’autre, nous devrons accompagner un proche handicapé ou âgé perdant une partie de son autonomie. La majorité assume leur rôle sans y être préparée. La plupart, par manque d’information et de formation, s’épuisent au quotidien devant la complexité de la tâche, un stress croissant, un manque de connaissance entraîne parfois un risque de maltraitance inconscient.

Rendez-vous compte, grâce aux solutions proposées dans le cadre du maintien à domicile, une personne âgée en perte d’autonomie peut bénéficier d’environ deux ou trois heures par jour d’accompagnement par un professionnel en principe qualifié. Trois ou quatre heures sur 24 que compte une journée, soit 22 heures par jour pendant lesquelles l’aidant familial doit assumer seul ce qui parfois est du ressort d’un professionnel (soins techniques par exemple) et cela sans avoir reçu aucune formation!

Concilier vie sociale, vie familiale, vie professionnelle, rôle d’aidant est un exercice périlleux et beaucoup doivent réduire ou stopper une partie de ces vies. En général, c’est d’abord la vie sociale puis familiale et enfin la vie professionnelle qui sont impactées (absentéisme, présentéisme, aménagement d’horaires et parfois démission). Contribution à un phénomène qui n’est pas assez évoqué: la paupérisation des aidants de proche.

Quelles précautions prendre alors ?

Qu’il s’agisse d’un choix personnel ou d’une situation imposée, « il faut accepter d’être aider pour mieux aider l’autre ». Beaucoup de particuliers amenés à s’occuper d’un de leur proche handicapé, malade ou dépendant pensent qu’ils vont tenir le coup sous prétexte que « c’est leur devoir ». Cette notion de culpabilité gangrène leur vie. Et, au motif que la personne aidée est de leur famille, ils ne se fixent pas de limite de temps, de compétences ou encore d’énergie. Or, depuis quand vouloir faire le mieux possible constitue-t-il un gage de qualité de vie pour l’aidé et pour l’aidant ?

S’occuper et accompagner une personne en perte d’autonomie n’est pas inné et nécessite un apprentissage, de même pour le rôle d’aidant, il en va de la santé du couple aidant-aidé. Nous parlons ici de mieux accompagner une personne âgée en perte d’autonomie ou pénalisée par un handicap.

Quelles sont les solutions existantes ?

Il faudrait arriver à ce que les aidants d’un proche puissent accepter d’être accompagnés, de pouvoir bénéficier gratuitement d’un niveau d’informations préventives leur permettant de mesurer les risques, de comprendre la nécessité de conserver une vie sociale, de prendre du recul, de déléguer, de connaître les différents types de congés légaux, les différentes solutions d’aides…

Aujourd’hui, des formations existent pour apprendre aux particuliers à assumer leur rôle d’aidant sans perdre leur propre identité. Etre l’aidant d’un proche demande des compétences particulières tant sur le plan technique que psychologique. Il faut donc prendre le temps d’acquérir les bons gestes, des savoir-être et des savoir-faire et ainsi comprendre l’importance de se dégager des moments pour soi, l’idéal serait de se préparer en amont.

Que demande La Maison des Aidants ?

Nous rencontrons régulièrement des aidants de proches qui nous disent qu’ils aimeraient :

  • Une reconnaissance sociale de tous les aidants familiaux (pas seulement ceux concernés par la maladie d’Alzheimer qui représentent seulement 10 à 15% de l’ensemble des aidants).
  • Une reconnaissance de leurs compétences, de leur travail, de leur contribution à la société en permettant le maintien à domicile de leur proche. Les aidants représentent l’interface incontournable du maintien à domicile sans eux le choix politique qui consiste à maintenir le plus longtemps possible chez elle une personne en perte d’autonomie ne serait pas envisageable. Ils sont devenus la plus grande entreprise de santé de France. Qu’on se le dise !

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