Un minuscule vaisseau sanguin rompu suffit à faire basculer des vies. L’accident neuro-vasculaire (AVC) est présent dans le quotidien de deux millions de Français. Première cause de handicap acquis chez l’adulte (30 000 cas lourds par an), l’AVC «invisibilise» ceux qu’il frappe. «La maladie est une invisibilisation du sujet à lui-même», explique Céline Lefève, philosophie à l’université Paris-Diderot. Une absence à soi-même qui altère les relations sociales les plus banales et, comme l’ajoute l’universitaire, «empêche celui qui souffre de pouvoir enchevêtrer son récit à celui des autres». «J’ai la rage, il n’y a pas de place pour les handicapés !», renchérit une femme victime d’AVC venue assister à la conférence.
La disparition partielle de l’identité biologique et sociale du malade commence dès l’hôpital. «Le malade est encore trop souvent vu comme un objet de soins et pas comme un sujet à part entière», analyse Inge Cantegreil-Kallen. Et la neuropsychologue à l’hôpital Broca de prôner la mise en place d’une «approche pluridisciplinaire» ne cantonnant plus le patient à une batterie d’actes médicaux et d’examens, mais le plaçant au centre de l’attention des personnels soignants. Pour la neurologue Camille Lebrun, présente dans le public : «Il convient de revoir la place de l’hôpital dans l’accompagnement des patients. La mise en place d’un groupe de soutien éducatif et psychologique pour les personnes atteintes d’AVC au sein de mon établissement m’a permis de réfléchir à ma façon d’exercer et de faire un pas de côté par rapport à ma pratique», confie-t-elle.
8 millions de «héros invisibles»
Même si l’adoption d’un plan AVC en 2010 a permis la mise en place de 140 centres de prise en charge multidisciplinaire des victimes d’accidents cardio-vasculaires, «les structures hospitalières demeurent insuffisamment préparées», constate Pascal Piedbois, directeur médical de Boehringer-Ingelheim. «On est très fort pour la phase aiguë, très mauvais en prévention et pas très bon dans la phase chronique», résume-t-il. «Or, il ne faut jamais oublier que la deuxième victime de la maladie chronique, c’est la famille», rappelle Janine-Sophie Giraudet, médecin rhumatologue à l’hôpital Cochin, en charge de l’éducation thérapeutique du patient. Il y aurait aujourd’hui en France plus de 8 millions d’aidants, dont deux tiers sont des femmes. Si la loi du 11 février 2005 pour l’Égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a donné un statut à ces conjoints ou enfants de personnes malades, ces travailleurs de l’ombre sont, eux aussi, largement invisibilisés à leur corps défendant.
«L’aidant est confronté à la maladie de son proche, sans aucune formation. Il improvise au jour le jour en traversant les étapes liées à la perte d’autonomie de l’autre»,
analyse Inge Cantegreil-Kallen. Exposés à un stress chronique et le manque de sommeil aidant, ces héros invisibles peuvent plonger dans l’automédication et l’isolement croissant pour répondre aux exigences inhérentes à la maladie ou au handicap de ceux qu’ils aiment. Une sursollicitation loin d’être sans conséquences puisque que le taux de mortalité des aidants est supérieur de 30% à celui du reste de la population», indique Janine-Sophie Giraudet. La rhumatologue milite pour la mise en place d’un «parcours de soins dédié aux aidants à l’hôpital, afin explique-t-elle, de former ces bienveillants à la différence entre ce qui relève du prendre soin et du soin qui est l’affaire des professionnels»
Le tissu associatif joue lui aussi un rôle de soutien aux aidants par la mise en place progressive du «balluchonnage». «Cette pratique venue du Canada consiste à confier le proche malade ou handicapé à des volontaires rémunérés pour soulager l’aidant durant quelque temps», fait savoir Paul Ramazeilles, secrétaire adjoint de France AVC. Un répit qui ne peut néanmoins pas exonérer les professionnels de la santé et les pouvoirs publics d’explorer plus en profondeur les rapports aidants-aidés et les conséquences que peuvent avoir de tels bouleversements sur ces vies. «Car si nous ne prenons pas soin des aidants, qui aidera l’aidé ?», conclut Inge Cantegreil-Kallen.Source: libération.fr